Cet article est un aparté mentionné dans notre dossier “Jeu vidéo et pollution numérique » et dédié à la problématique de l’eau. Nous vous invitons à consulter les autres articles de ce dossier.
Quand nous nous sommes lancés dans cette série d’articles sur la pollution du numérique, s’il y a bien un élément que nous ne pensions certainement pas croiser, c’était bien l’eau ! Selon les Nations Unies, les deux tiers de la population mondiale vivront en situation de stress hydrique en 2025. Ce phénomène a été identifié par le Forum économique mondial en 2019 dans le Top 5 des risques les plus impactants dans son « rapport des risques mondiaux ». Même si l’agriculture reste le principal consommateur d’eau, nous nous apercevons que le numérique a aussi une part de responsabilité.
La climatisation des datacenters de Google
Lors de nos recherches sur les datacenters, nous nous sommes aperçus que si les datacenters de Google sont incroyablement performants d’un point de vue électrique, ils ont par contre un défaut que l’on aurait pas soupçonné au départ : ils consomment des milliards de gallons d’eau comme expliqué dans cet article de Bloomberg. Il ne s’agit pas d’un prélèvement d’eau qui sera rejetée une fois utilisée pour rafraîchir les datacenters, mais bien d’eau consommée par évaporation ! Prenez une minute pour aller voir l’étonnante photo de l’article de Bloomberg avec le datacenter qui laisse échapper des volutes de vapeur d’eau à l’instar d’une centrale électrique.
Nous avons trouvé un formidable article de la revue scientifique Nature sobrement intitulé « Data centre water consumption » qui nous fournit énormément de détails sur ce sujet. Nous vous invitons à la lire si vous maîtrisez l’anglais car elle est très facile d’accès et passionnante. En voici les principaux points importants :
Au cours de l’exercice 2018, Google a déclaré avoir consommé 15,8 milliards de litres d’eau contre 11,4 milliards de litres en 2017. Même constat avec Microsoft qui a déclaré avoir utilisé 3,6 milliards de litres d’eau en 2018, contre 1,9 milliard de litres en 2017. Les bureaux constituent une partie de ce total, mais les centres de données utilisent également de l’eau.
Source : Article la revue Nature
Il existe plusieurs mécanismes différents pour le refroidissement des datacenters mais l’approche générale implique des refroidisseurs réduisant la température de l’air en refroidissant l’eau – généralement entre 7 et 10°C – qui est ensuite utilisée comme mécanisme de transfert de chaleur. Certains centres de données utilisent des tours de refroidissement où l’air extérieur circule sur un support humide afin que l’eau s’évapore. Les ventilateurs expulsent l’air chaud et humide, et l’eau refroidie est remise en circulation.
Source : Article de la revue Nature
D’autres centres de données utilisent des économiseurs adiabatiques où de l’eau pulvérisée directement dans le flux d’air, ou sur une surface d’échange thermique, refroidit l’air entrant dans le centre de données. Avec les deux techniques, l’évaporation entraîne une perte d’eau. On estime qu’un petit datacenter de 1 MW, utilisant l’un de ces types de refroidissement traditionnel, peut consommer environ 25,5 millions de litres d’eau par an.
Malgré l’énormité apparente des chiffres, Nature note que les datacenters représentent seulement 0,14% de la consommation d’eau totale aux États-Unis. Par contre, fait étonnant, plus de la moitié de l’eau consommé par Google est de l’eau potable ce qui entraîne parfois des tensions avec les riverains qui habitent près des datacenters lors des épisodes de sécheresse, comme expliqué dans l’article de Bloomberg.
En ce qui concerne les alternatives, le datacenter de Google à Hamina en Finlande – qui se refroidit à partir de l’eau de mer – est donné en exemple à suivre. Selon Nature, la transparence et la communication des entreprises des TIC a été grandement améliorée sur l’aspect consommation électrique grâce à la publication de leur PUE (Power Usage Efficiency ou Indicateur de l’Efficacité Électrique) de chacun de leurs datacenters.
Il faudrait dorénavant communiquer sur le WUE (Water Usage Efficiency ou Efficacité de l’Utilisation de l’Eau) qui rend compte de la consommation d’eau totale des datacenters (c’est-à-dire l’eau nécessaire à la production électrique locale, à la régulation de l’humidité et à leur climatisation). Pour la calculer, il suffit de diviser la consommation d’eau annuelle du datacenter (en litres) par la consommation annuelle électrique (en kWh).
L’industrie a déjà franchi la première étape en définissant des mesures de l’eau. Maintenant, ils doivent les utiliser. Les opérateurs et les fournisseurs doivent calculer et publier leur WUE en même temps que leur PUE. Une ventilation de la source d’eau, comme celle publiée par Digital Realty, est également importante. L’utilisation de l’eau potable détourne des ressources précieuses de la communauté locale, une situation qui risque de s’aggraver à mesure que la rareté de l’eau devient un problème plus important. Cela améliorerait la transparence et ferait passer l’industrie du stade de la réflexion (principalement sur l’énergie) au stade de l’utilisation puis à la prise en compte des impacts environnementaux de son activité sur le cycle de vie complet.
Source : Article de la revue Nature
De manière générale, l’amélioration du PUE dans les datacenters se fait souvent au détriment du WUE, suivre les deux indicateurs devient donc une obligation pour s’assurer que les progrès sont réels et pas un simple transfert de problématique.
Efficacité hydrique de la production électrique
Le calcul et la publication d’un WUE dépasse de très loin les seuls datacenters. Le WUE pourrait très facilement se calculer pour chaque centrale électrique. Par exemple, l’électricité hydrique combine beaucoup d’avantages (stockage, prévisibilité, bas carbone) mais possède aussi la pire efficacité hydrique.
Les systèmes hydroélectriques utilisent également de grands volumes d’eau bien qu’ils soient considérés comme une source d’électricité plus propre. L’évaporation d’eau des réservoirs ouverts est une source majeure de pertes, en particulier dans les régions sèches où l’eau n’est pas renvoyée dans le réservoir ou transmise aux utilisateurs en aval. La consommation nationale moyenne d’eau aux États-Unis pour l’hydroélectricité est de 16,8 L / kWh contre 1,25 L / kWh pour la thermoélectricité.
Source : Article de la revue Nature