Outward : dans le monde d’Aurai, personne ne vous entend crier

“Qui a dit que partir à l’aventure devait être facile ?“ demandent les développeurs du jeu dans leur premier “Dev Diary“ sur Youtube. Et bien sûrement pas eux ! Ils ont même fait leur credo du postulat inverse : “Aucun voyage mémorable n’est accompli sans effort“. Le principe de base est posé : votre aventure ne sera pas belle parce-que ce jeu dispose des meilleures graphismes, parce-qu’il raconte la meilleure histoire à travers ses quêtes ou parce-qu’il a les meilleures mécaniques de jeu ou le meilleur gameplay. Non, votre aventure sera belle parce-que le jeu est difficile et que vous aurez réussi à force de persévérance.

Bienvenue dans le monde d’Aurai

Outward a été développé par le studio indépendant québécois Nine Dots Studio. C’est un studio d’une dizaine de personnes, ce qui est relativement petit pour achever l’immense tâche de développer un RPG. D’un point de vue technique, le jeu a été fait avec le moteur Unity, il est sorti en 2019 et son portage sur Stadia est impeccable. Le jeu est très fluide avec 60 FPS constant. Côté graphismes, Outward peut avoir ses moments, certains extérieurs sont parfois jolis avec des levers de soleil flamboyants ou encore quelques villes plaisantes mais le reste du temps, il est plutôt moyen. Certains intérieurs sont parfois à peine digne d’un RPG des années 2000. Les musiques sont réussies (vous pouvez en écouter un extrait dans l’un des épisodes de notre chronique “Les oreilles dans le nuage“) et s’adaptent instantanément au lieu et à la situation. Le jeu se déroule en ironman, c’est-à-dire que c’est le système qui gère la sauvegarde de votre personnage, il est impossible de revenir en arrière. Le jeu peut aussi bien se jouer au clavier/souris qu’à la manette. Particularité unique, il peut se jouer en solo ou en duo, ce duo pouvant même être local avec un écran partagé horizontalement. Un add-on est même disponible (The Soroboreans) mais le contenu de base suffira amplement pour des dizaines d’heures de jeu. L’autre particularité, c’est que cette aventure est multi-classée : jeu de rôle, jeu de survie, open world et jeu de combat. Pour vous y retrouver parmi toutes ces déclarations contradictoires, suivez le guide.

Levant, la capitale du pays d’Abrassar, une ville plus jolie que les autres. La pierre blanche, c’est toujours chic.

Outward, un jeu de rôle

Outward possède une fiche de personnage plus que rudimentaire : pour créer votre héros, vous aurez besoin de seulement cinq informations qui sont toutes purement graphiques (vous devez choisir parmi deux sexes, trois races, quatre à six visages, quinze coiffures et onze couleurs de cheveux). Aucune caractéristique, pas de niveau, ni de points d’expérience. Mais tel est le pitch de départ : vous serez un être ordinaire confronté à des aventures extraordinaires. Rassurez-vous, par la suite, vous allez quand même pouvoir acquérir des compétences actives ou passives que vous pourrez utiliser pour faciliter votre survie ou vous aider lors des combats que ce soit des compétences d’armes ou des sorts de magie. En dehors de ces capacités, les habits, les armes et la nourriture seront les seuls moyens de rendre votre personnage plus performant.

La fiche de création de personnage. Ce sont des professionnels, n’essayez pas de reproduire cela dans votre propre jeu de rôle maison.

Bien que discret, il existe aussi un système de quêtes dont le principal objectif est de vous pousser à quitter le confort douillet des villes pour partir “à l’extérieur“ – outward en anglais – où vous affronterez un monde redoutable. Les dialogues sont au service minimum : aucune cinématique, aucun gros plan sur les visages, parfois les PNJ vous tournent carrément le dos. Une simple fenêtre apparaît à droite de vos interlocuteurs avec leurs textes et une liste de réponses possibles numérotées. Si vous avez de la chance, le dialogue aura été doublé en français et dit la même chose que le texte écrit en plus court, sinon vous aurez une phrase sans grand rapport ou juste les trois premiers mots. Le fondateur du studio explique qu’il n’avait pas les moyens de tout doubler mais il faut lui reconnaître que les dialogues n’ont jamais été prévus pour être au centre de l’expérience de jeu.

C’est toujours un plaisir de parler à votre dos Helen

Outward, un open world

Effectivement, Outward est un monde ouvert vous permettant de vous balader sans contrainte d’une région à l’autre sans lien avec la quête principale. La seule chose qui avance en fonction de celle-ci, c’est la présence de tel ou tel PNJ dans telle ou telle ville. D’ailleurs, ceux-ci se trouvent uniquement dans les villes et sont faciles à identifier : ce sont ceux qui ne bougent jamais. Les autres sont des badauds qui se baladent et avec lesquels vous ne pourrez pas avoir d’autres interactions que de les bousculer un peu (c’est toujours ça de pris).

En dehors de la quête principale, certains personnages ou commerçants vous proposeront des activités qui vous permettront de vous enrichir ou de découvrir les alentours. Ce sont plus des suggestions que de véritables quêtes. En dehors des bâtiments, des commerçants et des PNJ il n’y a aucun marqueur sur la carte, aucun marqueur de quête, pas même le marqueur qui indique votre position, il faudra donc apprendre à vous diriger tout seul en fonction des points hauts visibles, des ponts, des rivières, des plages, etc… Hors des villes, c’est encore plus simple, la carte vous affiche seulement les chemins, les point d’intérêts (ville, repaire de bandits, point hauts) et les points d’accès à une autre région. 90% des régions sont donc vides, sans points d’intérêts. Cela promet donc de longues balades pour aller d’un point à un autre de la carte.

Alors, sud-est pendant deux camps de bandits, puis plein nord jusqu’au camp de bandit, enfin, si on est encore en vie, on traverse la rivière jusqu’à Berg.

Mais vide ne veut pas dire sans dangers. Si vous voyez quelqu’un qui fonce droit sur vous, il ne vient pas vous proposer de partager l’apéro, malheureusement. Les traditions se perdent… Non, Aurai est un endroit dangereux et tous les êtres vivants que vous croiserez en dehors des villes sont forcément des ennemis. Dès qu’ils vous ont repéré, ils foncent vers vous car ils trouvent que vous avez une bonne tête de victime. N’hésitez pas à passer en mode furtif et à contourner les importuns avant d’être détecté. Sachez aussi que regarder la carte ou ouvrir son inventaire ne suspend pas le jeu et oui, cet oiseau cendré (sorte d’autruche) n’hésitera pas à vous balancer un bon coup de bec s’il vous voit immobile pendant quelques secondes…

Si vous êtes perdu, rien de tel que se tenir sur la plus haute montagne pour retrouver son chemin

Outward, un jeu de survie

Nine Dots Studio met beaucoup en avant l’aspect survie de son jeu. En effet, il vous faudra gérer la faim, la soif et le sommeil de votre personnage. Finalement, la faim est probablement le sujet le moins problématique. La nourriture est plutôt abondante (hors désert bien sûr) : gabaies, poissons et autres oiseaux perlés sont assez courants. Il vous faudra faire un feu pour cuire vos aliments mais c’est relativement facile car le bois est disponible presque partout. Certains aliments vous seront précieux car ils peuvent vous faciliter l’aventure en améliorant la récupération de vos jauges pendant les combats ou vous débarrasser d’une maladie que vous avez attrapé. L’eau douce n’étant disponible que dans les villes et à certains points de la carte, il faudra la stocker dans des gourdes pour étancher votre soif. Le sommeil nécessite “juste“ un lit ou un sac de couchage mais il existe deux complications possibles quand vous dormez à l’extérieur : les ennemis qui vous tombent dessus et la température ambiante.

C’est moi ou il fait chaud d’un coup ?

De manière générale, les températures extrêmes (chaud ou froid) sont plus compliquées à appréhender. Vous avez une jauge qui représente votre chaleur corporelle et si elle atteint le maximum ou le minimum, vous vous évanouissez. Lutter contre le climat demande d’obtenir des habits, des bottes, des couvre-chefs qui correspondent. Oh et il vous faudra une tente pour le sommeil. Tout cela coûte beaucoup d’argent que vous n’aurez pas, surtout au début. Vous devrez transporter tout cet attirail aussi, ce qui nous amène à la gestion de l’inventaire. C’est un classique dans pas mal de jeux mais Outward pousse le bouchon beaucoup plus loin. Déjà, il va falloir vous acheter un sac à dos ou le fabriquer sinon vous vous contenterez de vos poches. Ensuite, le sac à dos vous empêche de faire votre roulade d’esquive correctement, il vous est donc recommandé de le déposer avant chaque combat pour le récupérer à la fin. Enfin, le jeu affiche des icônes très claires sur les bonus (icône ronde) et les malus (icône pentagonale) qui vous affectent.

L’écran qui vous donne en détail tous les effets positifs et négatifs que vous subissez. Dans ce domaine, l’imagination des développeurs est sans limite…

Outward, un jeu de combat

Il y existe un moyen très simple de ne pas perdre un combat dans Outward : c’est de ne pas se battre… Mais c’est un peu le seul malheureusement ! Tout autre manière possède une probabilité plutôt élevé de défaite. Chaque région possède ses propres types d’ennemis : mante religieuse géante, hyènes gloussantes ou troglodytes. Tous les ennemis possèdent un comportement au combat différent auquel vous devrez vous adapter sous réserve de perdre (avec le sourire, encore et encore…). Vos adversaires les plus faibles se promènent souvent par deux, donc au final, même eux représentent un défi relevé, le quotidien des combats restant quand même les bandits et surtout le vicieux avec sa guisarme qui vous fauche pratiquement en un seul coup.

Bleuzy : « – T’as bien de la chance d’être avec ton copain, tout seul je t’aurais fumé… »

Sur le combat à proprement parler, il existe quatre jauges sur lesquelles vous devez garder un œil. La jauge de santé (rouge) peut déjà avoir été malmenée par le volet survie et de ce fait, est d’autant plus susceptible de tomber à zéro. La jauge de vigueur (jaune) diminue à chaque fois que vous courrez, que vous parez, que vous esquivez (roulade) ou que vous frappez. Une fois vide, votre personnage ne peut plus que regarder ses adversaires les bras ballants et comme celle-ci ne remonte pas lors des combats, c’est souvent synonyme de défaite. La troisième jauge est votre jauge de stabilité (blanche en bas de l’écran), en fonction du combat, elle peut disparaître encore plus vite que la vigueur. Elle baisse quand vous êtes touché et quand vous parez. Comme celle de vos ennemis, lorsque vous passez en dessous de la moitié, vous êtes repoussé, et si elle tombe à zéro, vous êtes renversé et le combat prend alors fin (si vous jouez en solo, en duo votre partenaire peut venir vous aider). La dernière jauge est votre jauge de mana (bleue) qui, quand elle sera activée, vous permettra de lancer des sorts. Pourtant, ne pensez pas que la magie simplifiera vos combats car pour pouvoir en bénéficier, il faut un sceau qui ressemble à un pentacle sur le sol et vous ne pourrez lancer vos sorts qu’à l’intérieur de ce sceau. Cela donne des combats qui nécessite à la fois des réflexes mais aussi de penser à un niveau stratégique pour s’adapter à l’évolution de la situation. Heureusement, au fur et à mesure de l’aventure, vous pourrez débloquer de nouvelles armes et de nouvelles compétences et vous pourrez en choisir huit pour garnir votre barre de raccourcis.

Faire une roulade plutôt que prendre une capture d’écran aurait peut-être permis d’esquiver cette boule d’électricité

Outward, un jeu réaliste

Les développeurs mettent en avant “une expérience immersive avec un gameplay réaliste“. Outward serait-il le graal des jeux de rôles ? Aurait-il trouvé la recette ultime du réalisme ? Certains éléments pourraient nous le faire penser : la pénible gestion de l’encombrement, l’aspect survie, la présence d’une carte “sans GPS“, la difficulté des combats et l’absence totale de guide dans le jeu. Vous apprendrez les règles du jeu, une par une, par l’expérience, à force d’échecs. Mais Nine Dots Studio a surtout choisi de piocher dans le réalisme ce qui rend le jeu plus difficile pour le joueur ignorant soigneusement cet aspect et ce qui rend le jeu plus complexe à développer. Quand vous ne pouvez pas sauter une marche de cinq centimètres ou que vous ne pouvez pas nager, ça facilite le game design mais ce n’est pas réaliste. Quand vous êtes ralenti pour avoir dépassé la capacité de votre inventaire, mais que vous pouvez régler le problème en transférant une partie de vos objets dans vos poches ou en achetant un sac à dos plus grand, ce n’est pas réaliste. Quand le jeu choisi de gérer le pourrissement de vos aliments mais ne ralentit pas le processus quand il fait -20°C dehors, ce n’est pas réaliste. Quand les cycles jour/nuit existent mais que les PNJ, eux, n’iront jamais se coucher et vous attendront toujours sagement à la même place, ce n’est pas réaliste. On pourrait citer beaucoup d’autres exemples mais notre objectif n’est pas d’accabler le jeu. Au contraire, le travail effectué par le studio, la variété du gameplay, la grandeur de l’univers, le cœur à l’ouvrage qu’ils ont mis sur ce jeu est évident. Mais l’appellation “réaliste“ en jeu de rôles est une notion casse gueule car chacun à des attentes à des différents niveaux. Il faudrait plutôt parler de jeu simulationniste, et là en l’occurrence, la simulation à laquelle vous allez jouer c’est, pégu simulator plutôt que héros simulator.

La couleur du sol sera reproduite sur la carte vous aidant à vous situer

Maître du jeu sadique recherche joueurs immortels

Sachez que même si Outward vous fera, comme disait le poète, “crier maman, pleurer beaucoup“ il n’est, bizarrement, jamais punitif. Certes, c’est un maître du jeu sadique qui prend plaisir à vous faire souffrir de tous les maux imaginables, à vous voir perdre tous vos combats, à ricaner quand vous vous perdez dans ses régions immenses. Mais il existe deux tabous : vous ne mourrez pas et vous récupérez toujours votre précieux sac à dos. Par quel Deus Ex Machina vous ne mourrez pas ? Cela vous sera expliqué par un petit intertitre lors de l’écran de chargement, comme à l’époque du cinéma muet. Vous allez vous réveiller dans un endroit qui va dépendre du lieu où vous êtes tombé mais avec une part d’aléatoire. Parfois, ce sera la chance qui vous a sauvé, parfois un bienfaiteur qui s’éclipsera avant votre réveil mais qui aura le bon goût de vous installer autour d’un petit feu pour vous tenir à température, de vous écrire un petit mot d’encouragement et de vous laisser un petit cadeau comme une potion. Comme si le maître du jeu passif-agressif vous disait “tu vois, ce n’est pas grave de perdre, tu es quand même récompensé“. Bien évidemment, si vous perdez en vous battant contre des bandits, ils vous voleront vos vêtements, vos chaussures ou vos armes, mais sachez que ces bandits là respectent le code d’honneur d’Aurai: “On avait dit pas les mamans le sac à dos“. Votre objectif sera alors de leur fausser compagnie en ayant récupéré votre précieux, dont l’emplacement est toujours indiqué par la boussole. À noter qu’il existe un mode hardcore au lancement du jeu qui instaure, en plus, une mort permanente à votre personnage avec une probabilité d’une sur cinq à chaque respawn. Cela va sans dire que ce mode est à utiliser uniquement si vous avez déjà retourné le jeu (ou plutôt si le jeu vous a suffisamment retourné en fait). Sachez que nous ne pourrons pas être tenu pour responsable des séquelles qui feront suite à cette décision.

Bleuzy, les pieds nus dans la neige, admire le lever du soleil et se demande comment sa température interne peut baisser aussi vite.

Outward est un jeu qui demande probablement une centaine d’heures (ou plus) pour en faire le tour et il est difficile d’y jouer suffisamment pour prétendre avoir un avis complètement éclairé, tant il est ardu d’en comprendre l’étendue. Ce qui est certain, c’est que cette aventure peut rendre dingue à plusieurs reprises. On progresse en tâtonnant beaucoup et tout ce nous avons raconté dans ce test est valable si vous jouez avec un ami, même si l’expérience est probablement moins traumatisante qu’en solo.

Si tu peux être mis à terre d’un seul coup de marteau
Et dès le réveil, sans un mot, récupérer ton sac à dos,
Ou, te faire respawn à des kilomètres

Alors qu’à ton objectif t’allais y être
Sans jeter ta manette sur ton écran

Et sans insulter les mamans;
Tu pourras jouer à Outward, mon fils.

Bleuzaille Kipling, 2020
On a aiméOn a moins aimé
– Une proposition unique dans le monde du JV
– Un studio indé qui a mis ses tripes dans ce jeu
– Le système de crafting et la cuisine
– Les musiques de Jean-François Racine
– Un jeu garanti avec 0% de crunch dedans
– La quête d’initiation beaucoup trop courte
– La difficulté des combats
– Le système de respawn
– Les graphismes en intérieur
– Les voix enregistrées

Outward n’est clairement pas un jeu à mettre entre toutes les mains car il est incroyablement frustrant. Tout a été pensé pour vous rendre l’expérience rugueuse. L’aspect combat est injustement difficile : une seule fausse manip contre vos ennemis ruinera votre belle préparation. Et surtout, ne comptez pas sur le jeu pour vous aider le moins du monde “expliquer c’est tricher“ semble t-il. Si vous pensez pouvoir faire avec ces choix qui ont été voulu par les développeurs, alors vous pourriez découvrir un jeu unique, à nul autre pareil. Et même qui sait, un jour, vous pourriez même aimer ce jeu car au fond de vous, vous êtes convaincu qu’aucun voyage mémorable n’est accompli sans effort.

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