Après avoir démarré leur voyage chez les vikings et dans un monde en ruines avec Jotun et Sundered, Thunder Lotus Games fait escale dans l’au-delà avec Spiritfarer, un jeu d’aventure et de gestion bienveillant qui va vous mettre dans la peau de Stella, nouvelle passeur d’âmes en devenir, partie explorer le monde à la recherche d’esprits à guider dans leur chemin vers la mort. Bien loin de la mythologie nordique et de l’ambiance sombre de leurs précédents jeux, les développeurs québécois prouvent qu’ils sont aussi à l’aise avec le mélange des genres qu’avec le renouveau.
La croisière, sa muse
Lorsque Stella ouvre les yeux, elle gît aux côtés de son chat Daffodil dans une barque remorquée par Charon, le passeur d’âmes. Ce dernier est bien content que la jeune fille se réveille et pour cause, c’est l’heure de la retraite et il lui délègue une lourde tâche : prendre sa place et guider les esprits des morts dans l’au-delà afin qu’ils trouvent le repos. Seuls dans leur embarcation de fortune, ils vont très vite découvrir un vieux port abandonné où s’est réfugié Gwen, un esprit se matérialisant sous la forme d’un cerf qui a tout autant besoin d’aide que la jeune débutante. Ils dénichent alors ce qui deviendra leur maison pendant un temps, à savoir un navire qui n’attend qu’à voguer à travers le monde pour l’aider à accomplir sa mission, votre mission. Une aventure placée sous le signe de la compassion et l’occasion d’offrir à ces esprits un dernier voyage.
Chaque esprit que vous allez rencontrer possède sa propre histoire et tous, ou presque, cherchent leur rédemption à travers cette balade maritime en votre compagnie. Entre la relation familiale destructrice, l’adultère, l’amour qu’on est incapable de donner ou la maladie, beaucoup de thèmes sont abordés à travers ces histoires. Des thèmes qui sont, la plupart du temps, peu réjouissants et qui dénotent paradoxalement avec l’univers enchanteur du jeu. Mais c’est justement cette opposition entre le fond et la forme qui fait mouche et même si on se surprend à préférer certains personnages à d’autres, chacune de ces histoires est bien écrite et très touchante. Le temps passé à vos côtés sera ainsi l’occasion pour vous d’en apprendre plus sur ces esprits et l’occasion pour eux d’atteindre la sérénité nécessaire au passage à travers le Seuil Eternel signifiant la fin de leur voyage. Si vous êtes même assez attentifs, vous découvrirez qu’il existe un lien très particulier qui vous unit à chacun d’entre eux…
L’amour est dans le fret
Toutefois, pour en arriver là, il va falloir que vous fassiez tout le nécessaire pour que le voyage se passe sans encombres. Et c’est peu dire que la tâche du passeur d’âmes est ardue. Les différents esprits qui vous rejoignent ont leur propre personnalité, leurs propres désirs et leurs propres goûts. Tout au long de leur présence à bord, vous devrez subvenir à leurs besoins et faire tout votre possible pour les aider à atteindre la plénitude. Pour vous aider à vous y retrouver, chaque membre de l’équipage possède une jauge qui augmente ou diminue en fonction de vos actions, leur moral en quelque sorte. Si vous prenez soin d’eux, si vous les nourrissez et leur témoignez de l’affection, ils seront plus enclins à s’ouvrir à vous et à vous raconter ce qui les tracasse. Ce n’est qu’à cette condition que de nouvelles quêtes se débloqueront afin de les rapprocher du pardon, qu’il soit accordé aux autres ou à eux-mêmes.
Ces quêtes vous demanderont de naviguer à travers les eaux de l’au-delà et d’explorer le monde qui vous entoure. Un monde qui est d’ailleurs aussi grand qu’il est surprenant, jonché de nombreuses îles à visiter. En tout cas, le dépaysement est assuré : à chaque fois que vous posez le pied sur une nouvelle île, c’est la surprise et on ne sait jamais à quoi s’attendre. Paradoxalement, l’au-delà est à la fois un peu vide et pourtant étonnamment vivant. Mais votre voyage sera régulièrement interrompu, d’une part par des obstacles naturels que vous devrez franchir après avoir trouvé comment y parvenir, et d’autre part par l’obscurité de la nuit. En effet, un cycle jour / nuit divise continuellement la journée-type d’un passeur d’âmes mais ce n’est pas parce-que votre bateau ne peut plus avancer que vous ne pouvez plus rien faire, bien au contraire ! En tant que grande intendante, vous pouvez profiter que vos passagers dorment à poings fermés pour mener à bien toutes les tâches qui vous incombe afin que cette auberge de jeunesse géante tienne la barque. Bon, vous pouvez aussi dormir et vous réveiller au petit matin, prête à reprendre la route, c’est à vous de voir.
C’est dans les vieux ports qu’on fait les meilleures poupes
Ça ne vous aura donc peut-être pas échappé mais Spiritfarer est avant toute chose un jeu de gestion et à ce titre, il ne ré-invente absolument rien. Si vous êtes amateur du genre, vous ne serez donc pas déçu. Vous trouverez de la récolte, de l’artisanat et même un peu de « survie » entre grosses guillemets car le jeu nage dans la bienveillance la plus totale et ne vous punit jamais en cas d’erreur ou d’oubli. Votre navire est une véritable ferme ambulante où vous faîtes pousser des arbres pour en récolter les fruits, où vous cultivez des légumes, où vous vous occupez de divers animaux pour obtenir des matières premières nécessaires pour nourrir vos colocataires. Vous pouvez également transformer les minerais que vous obtenez au cours de votre aventure en lingots pour pouvoir améliorer leurs habitations en les décorant ou construire de nouveaux bâtiments sur votre navire pour débloquer de nouvelles possibilités car si vous souhaitez pouvoir faire tout ça, il faudra justement construire les bâtiments qui le permettent.
Pour vous aider dans cette tâche, vous ferez très vite la rencontre d’Albert, un requin qui souhaite visiblement gagner l’oscar du meilleur créateur de jeux de mots mais qui ne risque pas d’y parvenir. Alors à défaut, il se propose d’améliorer votre bateau en échange de certains matériaux et d’argent. Ces améliorations permettent de construire de nouveaux bâtiments ou de faciliter votre exploration de l’au-delà en vous permettant de naviguer plus vite ou de franchir certains obstacles infranchissables. La recherche de ces matériaux et de comment les obtenir sera votre principal guide dans ce monde très mystérieux qui fait parfois penser aux anciens jeux d’aventure où on se retrouvait bloqué sans trop savoir quoi faire. Même si un menu récapitule l’ensemble de vos tâches et quêtes en cours, il arrivera qu’à certains moments vous ne sachiez plus trop quoi faire. Jusqu’à ce que soudain, la grâce vous touche et que vous trouviez où vous deviez aller ou ce que vous deviez faire pour avancer, un moment très souvent gratifiant par ailleurs.
Vers l’infini et l’au-delà
A certains moments, vous serez également bloqués parce-qu’il vous manque certaines facultés. En effet, il existe à travers le monde quelques autels permettant à Stella de débloquer des capacités comme le fait de pouvoir planer avec son chapeau ou de pouvoir faire un double saut dans un mouvement plein de volupté digne d’une gymnaste professionnelle. Ces autels ne peuvent s’activer qu’en l’échange d’oboles, de petits objets précieux que vous remettent les esprits que vous hébergez lorsque vous les rencontrez ou lorsque vous les aidez. Grâce à ces nouveaux mouvements, vous pouvez revenir sur des îles déjà visitées pour les explorer davantage et découvrir de nouveaux coffres contenant de nouvelles recettes ou de nouveaux plans pour améliorer vos structures. Le jeu possède donc un petit côté « Metroïdvania » tout à fait charmant et intéressant qui n’est pas extrêmement poussé mais suffisamment présent et habilement amené pour briser la monotonie parfois inhérente aux jeux de gestion.
Et c’est sans doute là le point fort de Spiritfarer et ce qui aurait pu tout aussi bien être son point faible si ce n’était pas une aussi franche réussite : son équilibre presque parfait autant dans le mélange des genres que dans la façon dont on progresse jusqu’à la fin de cet extraordinaire voyage. Il y aura toujours quelque chose qui viendra renouveler l’intérêt et vous donnera envie de continuer au bon moment. Que ce soit la découverte d’une nouvelle ressource, l’apprentissage d’un nouveau pouvoir ou l’histoire personnelle de chacun de vos passagers sans parler des mini-jeux qui viennent régulièrement ponctuer la récolte de certains matériaux particuliers, vous ne vous ennuierez jamais. Vous vous surprendrez même parfois à ne pas vouloir continuer car vous ne souhaitez pas dire au revoir à l’un de ces personnages qui vous a touché en plein coeur.
Voyage en eaux (légèrement) troubles
Malheureusement, l’épopée de Stella ne se fait pas sans heurts. Au moment de l’écriture de ce test, quelques bugs gâchent un peu le plaisir même si la plupart ne sont que des bugs d’affichage. Mais il arrive en de rares occasions de rencontrer des problèmes plus graves comme être obligé de quitter le jeu et recharger sa sauvegarde car on reste coincé dans un dialogue avec l’un de nos compagnons de route. Il existerait aussi dans des cas encore plus rares des problèmes de sauvegardes corrompues.
Mais au final, si vous n’êtes pas trop malchanceux, vous profiterez d’un voyage calme et à moins d’être hermétique à un monde merveilleux qui n’a rien à envier à ceux esquissés dans les productions Ghibli ou au genre du jeu de gestion lui-même, nous ne saurions que vous conseiller de vous jeter à l’eau et de profiter de ce qui est sans aucun doute l’une des plus belles expériences vidéoludique de cette année 2020.
ON A AIMÉ
+ La patte graphique de Thunder Lotus Games nous émerveille une fois de plus
+ Un univers d’une bienveillance et d’une mélancolie extrêmes
+ La bande originale accompagne merveilleusement cette aventure poétique
+ Une combinaison maîtrisée des genres
ON A MOINS AIMÉ
– Quelques bugs viennent légèrement gâcher le voyage
– Être obligé de dire au revoir à nos compagnons de route….
Quelle surprise que ce Spiritfarer qui derrière son style graphique léché – que Thunder Lotus Games peaufine à chacun de leurs jeux – cache une aventure d’une incroyable richesse tant au niveau de son gameplay que de son univers enchanteur. Encore une fois, les développeurs québécois prouvent qu’ils savent mélanger les genres tout en créant une identité propre à leurs créations et, en s’essayant cette fois à nous dépeindre un monde chatoyant et bienveillant, ils nous prouvent également qu’ils savent se renouveler. Ils nous proposent ainsi un voyage plein d’émotions dont on ne souhaite pas voir la fin mais qui – comme toutes les meilleurs choses malheureusement – en possède bel et bien une…