Récemment, Google a publié une offre d’emploi pour un poste d’ingénieur logiciel senior. Dans cette annonce, la firme de Mountain View précise plusieurs choses qui ont très vite provoqué de nombreuses craintes au sein de la communauté. Il est en effet question de mise à disposition des infrastructures et des outils aux développeurs et aux éditeurs qui souhaitent créer leur propre plateforme de streaming interactif mais aussi de développement de l’industrie et des autres applications de streaming interactif. Google serait-il donc en train de lâcher sa propre plateforme de cloud gaming ou l’ouvre-t-il à ses partenaires ? Et si oui, comment ? Décryptage.
Cet article est une libre interprétation de l’offre d’emploi publiée par Google il y a quelques semaines. Les opinions présentes dans cet article ne représentent pas celles de Stadia Fr.
Tout d’abord, analysons plus précisément les responsabilités énoncées pour ce poste :
– Concevoir, construire, lancer et déployer les éléments fondamentaux qui permettent d’inclure le streaming de jeux vidéo dans des applications Web tierces.
Offre d’emploi de Google
– Travailler en étroite collaboration avec l’équipe d’interface utilisateur de Stadia, avec Stadia, les secteurs de produits de Google et les parties externes afin d’intégrer l’expérience.
– Utiliser des technologies modernes comprenant Dart, TypeScript, Google Remote Procedure Call (gRPC) et un mélange d’innovations et de services internes.
– Collaboration et itération sur le SDK client et les serveurs frontaux qui alimentent les expériences des clients
Un peu d’architecture orientée service
Ce qui est intéressant de constater dans cette annonce, c’est la différentiation faite entre l’interface utilisateur Stadia et Stadia elle-même, ainsi que l’utilisation de gRPC, une manière moderne d’implémenter des APIs. À partir de là, il est possible d’imaginer une architecture orientée service pour la plateforme Stadia qui pourrait ressembler à ceci. Attention, il ne s’agit pas de noms officiels mais d’une probable architecture au vu des différents éléments de compréhension mis à notre connaissance.
Plus concrètement, les développeurs et éditeurs se servent de la plateforme de développement de Stadia pour produire leurs jeux. Une fois un jeu prêt, il est poussé dans la bibliothèque de jeux Stadia, la « Stadia Game Library ». Puis, ils publient le jeu sur le « Stadia Store » en fournissant des informations comme le prix, la description, etc.
Côté utilisateurs, un joueur ou une joueuse lance l’interface utilisateur Stadia, dit « Stadia UI » (qui peut être la page d’accueil Web ou l’application). Une fois authentifié, l’utilisateur a accès au service de réseau social Stadia (« Stadia Social Network » comprenant la messagerie, le nouvel onglet “Découvrir“, etc). Il a accès à ses jeux dans la bibliothèque Stadia et aussi au store pour acheter ou débloquer un nouveau jeu. Depuis la bibliothèque Stadia, il pourra ensuite exécuter son jeu via le moteur Stadia « Stadia Game Engine » (Streamer, les différentes piles de l’architecture distribuée, etc).
Powered by Google Stadia
Avec une telle architecture fonctionnant avec des services échangeant avec des APIs (un ensemble de fonctions permettant à des services informatiques de se comprendre et de dialoguer), il est maintenant aisément facile de comprendre comment un partenaire pourrait se servir de Stadia pour créer son propre service de streaming basé sur Stadia. Voici un exemple de comment un éditeur comme Electronic Arts pourrait d’interfacer avec Stadia :
Coté développeurs, pas de changements. Ils continueraient à développer leurs jeux via la plateforme de développement Stadia et à les pousser dans la bibliothèque Stadia.
Côté utilisateurs, par contre, les choses pourraient se dérouler différemment. Ils se connecteraient sur l’interface utilisateur d’Electronic Arts. À travers leur authentification avec leur compte EA, ils accèderaient au réseau social d’EA. L’authentification se synchroniserait avec celle de Stadia pour recevoir une autorisation leur permettant d’accéder à la bibliothèque Stadia et aux jeux associés à leur compte et de lancer ces jeux via le moteur Stadia. De plus, les utilisateurs pourraient passer par le store d’Electronic Arts pour acheter un jeu ce qui aurait pour conséquence de rattacher la licence de ce jeu au compte EA. Totalement transparent pour l’utilisateur qui ne se rendrait pas compte qu’il utilise Stadia, mis à part en regardant les conditions d’utilisation d’EA Cloud ou en remarquant le petit logo « Powered by Google Stadia » s’affichant lors du lancement du jeu.
Quels sont les avantages d’une telle architecture ?
Pour les joueurs, tout d’abord, le fait d’acheter un jeu dans le store de l’éditeur est un gage de confiance. En effet, le contrat est signé entre l’éditeur et le joueur, l’éditeur s’engageant à fournir le service. La question de « Stadia pourrait fermer, je ne veux pas acheter mon jeu dessus » est donc écartée, puisque Stadia devient ici un fournisseur de service indirect : Google → EA Cloud (business to business) – EA Cloud → Joueur (business to customer).
Pour l’éditeur en revanche, il n’y a plus à verser 30% du revenu des ventes à Google, ce qui augmente les marges. Mais du coup pour Google, quel avantage à considérer ce modèle ? Voilà qui nous mène à une autre offre d’emploi publiée par Google : celle du Responsable Ingénierie chez Stadia sur la partie tarification et facturation.
La sous-équipe chargée de la tarification et de la facturation est responsable de l’échange monétaire entre Stadia et nos éditeurs. Dans ce rôle, vous contribuerez à la conception et au codage des pipelines et des services en ligne qui alimenteront les rapports monétaires à grande échelle, la facturation et le partage de la croissance commerciale avec les éditeurs de Stadia.
Offre d’emploi Google
Cette personne aurait notamment comme responsabilité la « rédaction des conceptions pour les pipelines de tarification et de facturation et les systèmes en ligne » et le « développement des micro-services et la mise en production de nouvelles APIs et de nouveaux systèmes ». Ce qui veut dire que Google pourrait très bien proposer Stadia comme produit de son offre cloud, tout comme il propose déjà Google Maps Platform basé sur son service Google Maps.
Reste à Google de définir ce qu’il facturera à ses partenaires, du volumes d’appels APIs utilisés aux types de ressources engagées en fonction de la complexité des jeux. Proposer Stadia en tant que service serait une évolution naturelle pour Google dont l’architecture est déjà probablement quasiment mise en place.
Quel avenir avec Stadia en tant que service et en tant que plateforme ?
En tant qu’utilisateur de Stadia, quel pourrait être l’avenir si la plateforme s’ouvre en tant que service ? Voici l’exemple de Monsieur Dupont. Cet exemple est évidement purement spéculatif mais pourrait représenter un cas d’usage dans un probable futur. Monsieur Dupont est un joueur casual. Il n’a pas trop entendu parler de Stadia et même plutôt de façon négative comme étant un échec. Il n’est donc pas encore prêt à passer le cap.
Monsieur Dupont veut jouer à FIFA 23. Ça tombe bien, Electronic Arts le commercialise sur son offre EA, le jeu est “next gen“ et jouable sur TVs, smartphones et tablettes via l’application EA. “Parfait !“ se dit Monsieur Dupont. Il se connecte sur son compte Electronic Arts, achète le jeu et y joue. Et quelle claque, ça marche vraiment ! Monsieur Dupont n’a pas fait attention qu’en réalité, le jeu est exécuté par Stadia, et de toute façon ce genre de détails ne l’intéresse pas. Il en profite pour acheter également Les Sims 6 et Star Wars Jedi : Fallen Order 2. Coté coulisses, un compte Stadia a été créé par Electronic Arts pour Monsieur Dupont, correspondant à son compte EA Cloud et les jeux susmentionnés liés à ce compte.
Monsieur Dupont est aussi assez fan des jeux Ubisoft et y joue dans le cloud via Ubisoft Cloud. Pour 15€/mois, il a accès à une cinquantaine de jeux Ubisoft en version Ultimate. Il y joue via l’application Ubisoft Cloud et ça marche vraiment bien, y compris à des jeux comme Anno car il y a possibilité de jouer avec une interface tactile adaptée. Côté coulisses, un compte Stadia a été créé par Ubisoft pour Monsieur Dupont, correspondant à son compte Ubisoft et tous les jeux de l’offre sont liés à ce compte.
Un service pour les gouverner tous et dans la lumière les lier
Un jour, Monsieur Dupont décide de passer le cap et de s’inscrire sur Stadia. Il a profité d’une offre avec un Chromecast avec Google TV et d’une manette Stadia offerts avec l’achat de Resident Evil 9. Parfait pour transformer la télévision de la chambre en télévision connectée et jouer depuis son lit. En s’inscrivant sur Stadia, Monsieur Dupont ne veut pas encore souscrire à Stadia Pro. Il veut juste profiter de son jeu Resident Evil qu’il a acheté. En débloquant son jeu, il a dans sa bibliothèque personnelle Stadia un seul jeu, Resident Evil 9. C’est ce qu’il voit dans son interface utilisateur Stadia.
Mais il voit qu’il est aussi possible de lier son compte EA Cloud à son compte Stadia, ce qu’il fait immédiatement. En liant ses deux comptes, il a aussi désormais accès à tous les jeux débloqués depuis EA Cloud, et chaque jeu EA achetés depuis le Stadia Store est débloqué également au niveau du compte EA Cloud de sorte que si Monsieur Dupont achète Madden NFL 23 depuis le Stadia Store, il pourra y jouer également depuis EA Cloud. En liant son compte Ubisoft à son compte Stadia, de la même manière, il débloque tous les jeux de son offre Ubisoft Cloud dans l’interface utilisateur Stadia. Pas besoin de « racheter ses jeux » se dit-il.
De plus, via les comptes liés, Monsieur Dupont peut importer aussi ses contacts EA Cloud et Ubisoft Cloud dans Stadia. Pour peu que ces services utilisent des protocoles de messageries documentés ou ouverts, il pourrait même être possible de regrouper toutes les discussions dans l’interface utilisateur Stadia (à l’image de ce que propose des logiciels de messageries instantanées tel que Pidgin).
Ce genre d’évolution pourrait ainsi permettre aux développeurs ou éditeurs ne disposant pas de leur propre store de proposer par défaut leurs jeux sur le Stadia Store. Des éditeurs comme Electronic Arts ou Ubisoft pourraient proposer leurs propres stores au-dessus de Stadia, en plus de proposer leurs jeux sur Stadia (seules les ventes sur le Stadia Store seraient alors taxées à 30%). Ce modèle serait alors gagnant pour tout le monde.
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