On voit depuis quelques mois fleurir différentes offres de cloud gaming. Sony a lancé son “PlayStation Now“, Microsoft son “xCloud“, nVidia a lancé “GeForce Now“ et Amazon son offre “Luna“, sans compter les autres services comme “Shadow“. Parmi tous ces acteurs qui offrent l’accès à des machines virtuelles ou physiques à distance, Stadia – la plateforme de cloud gaming de Google – se distingue avec une architecture très particulière. En effet, elle se base sur des composants Open Source tels que le noyau Linux ou l’API Vulkan, rendant de prime abord le portage ou l’adaptation des jeux actuels peut-être un peu plus compliqués. Et si, en réalité, l’architecture de Stadia était sa force et lui donnait un avantage compétitif pour l’avenir ? C’est en tout cas ce que croit Jade Raymond, vice-présidente de Stadia Games and Entertainment.
Alors que Stadia fêtait son premier anniversaire, Jade Raymond a donc pu s’exprimer au micro du podcast d’Andreessen Horowitz (a16z), un fond d’investissement californien. L’occasion, pour celle qui a toujours été attirée par les opportunités offertes par les technologies de pointe dans les jeux vidéos, de parler de son parcours et de sa vision. Ainsi, après avoir travaillée sur la franchise “Assassin’s Creed“ pour l’arrivée des console next gen, Jade a décidé de profiter de la possibilité, non pas de réfléchir à ce qu’apporte l’arrivée de consoles huit fois plus puissantes, mais de réfléchir à l’évolution du jeu vidéo quand c’est le data center qui est utilisé en tant que console. « C’est tout le data center qui est utilisé comme puissance de traitement. C’est tout le modèle, la façon dont nous pensons en matière de jeux clients / serveurs et multi-joueurs, qui doit être totalement repensé et modifié. », explique-t-elle.
“Nous sommes actuellement dans la première vague de jeux dans le cloud. Et ce que nous voyons actuellement, c’est le côté pratique de cette forme de jeu […] nous nous débarrassons des temps de téléchargements. Nous pouvons jouer de façon plus instantanée. Nous n’avons pas à nous soucier des mises à jour. Nous pouvons jouer sur différents écrans. Ce sont de grands avantages, certes, mais je pense que ce qui va être vraiment passionnant, ce qui va être l’équivalent de ce que la télévision fût pour la radio, c’est lorsque nous débloquerons ce qui sera la deuxième vague de jeux dans le cloud. » ajoute-t-elle.
Elle précise : “Et ce qui va vraiment démultiplier les possibilités, ce n’est pas seulement la puissance de traitement et ce que nous appelons le calcul flexible du data center, mais aussi l’idée qu’essentiellement, tout jeu peut être conçu comme une grosse partie en réseau local. Vous n’avez donc pas à vous soucier des temps de ping du réseau. Vous pouvez au moins savoir exactement quels sont ces temps, les concevoir et les mesurer de manière cohérente. Et cela se traduit par une expérience partagée d’une ampleur sans précédent.“
Ainsi explique-t-elle, le cloud gaming ressemble à un flux vidéo qui peut se faire influencer par différents types d’entrées. Il peut donc y avoir une influence sur le monde dans lequel se trouve le joueur par ce qu’écrivent des commentateurs sur un tchat YouTube. Elle imagine même la possibilité pour des milliers de personnes d’interagir avec d’autres joueurs en formant une horde de zombies chacun pouvant piloter son propre monstre via une interface mobile extrêmement simplifiée.
Lorsqu’on parle de cloud gaming et de son aspect social, les gens ont tendance à voir disparaître la limite due aux capacités de suivi et de rendu du traitement côté joueurs dans les “battle royale“ comme « Fortnite » et s’imaginent donc des batailles engageant des milliers de personnes sur des jours voire des semaines. Mais pour Jade, qui base sa réflexion sur la théorie de la conception des réseaux, ce sont les réseaux qui comportent le plus de liens faibles qui se développent le mieux. Ainsi, plutôt que de liaisons très impliquantes, Jade plaide plutôt sur l’accessibilité et la possibilité d’avoir des jeux qui puissent s’adapter à notre humeur ou notre contexte. “En fin de compte, l’avantage pour les joueurs, c’est de se sentir inclus, quel que soit leur appareil, leur niveau de compétence ou leur temps de jeu. Je peux participer. Je n’ai pas à me sentir exclu de mes amis qui jouent. Et je pense que du point de vue créateur, vous pouvez toucher beaucoup plus de gens et créer des expériences beaucoup plus enrichissantes.“, précise Jade.
Et ces expériences sont faites pour être partagées.
“Je pense que l’avenir, c’est l’Internet des expériences. Et je pense que les jeux dits “cloud natifs” – et quelque chose comme la philosophie de YouTube pour les jeux – vont permettre cet Internet des expériences.“, commente Jade. “Nous sommes à l’ère de l’expression de soi. Que nous parlions d’un jeu comme plateforme sociale ou de plateformes sociales traditionnelles, nous voulons tous partager quelque chose qui nous concerne. Nous voulons tous montrer qui nous sommes au monde et en obtenir de la reconnaissance. Même si vous pensez aux tendances de la mode, les gens veulent aller chez Nike et y créer leurs propres chaussures. Tout le monde veut mettre son empreinte sur les choses.“ ajoute-elle. Elle explique ainsi que “le terme [qui vaut la peine d’être partagé] est une expression que nous utilisons beaucoup pour guider nos équipes de développement de jeux. Soit nous partageons un moment avec plusieurs personnes, soit c’est si personnel et si unique que ça vaut la peine de le partager même si ce n’est qu’une expérience individuelle. […] Plus nous pouvons permettre de vous faire vivre ce genre d’expériences, plus elles vous seront personnelles et donc plus significatives et plus engageantes. Mais aussi plus elles méritent d’être partagées.“.
Ainsi, le jeu devient une nouvelle plateforme sociale, une sous-culture, l’identité de sa communauté. Et de nouveaux créateurs se démarquent, attirant de nombreux nouveaux joueurs à l’instar de jeux comme “Fall Guys“ ou encore “Among Us“. Le jeu vidéo devient un endroit où trainer, permettant la création d’événements ou de performances tels que des concerts où fêtes d’anniversaires. Jade voit l’avenir du jeu vidéo comme une sorte de “metaverse“.
« Je pense que créer ce genre d’expérience est l’un des rêves ultimes. Et nous sommes sur le point de pouvoir le faire. Nous en sommes certainement là en termes de fidélité graphique. Voilà le genre de choses que la deuxième vague de jeux pensés pour le cloud permet de faire. La physique peut être distribuée dans le cloud, il n’y a donc plus de limites à son comportement. Cela permet de créer une tonne de jeux immersifs, mais aussi une météo dynamique ainsi que la persistance du monde et ce genre de perception. Je ne sais pas si vous vous souvenez du système Nemesis [NdA: Le système Nemesis avait été introduit sur le jeu Middle-Earth: Shadow of the War] il y a quelques années et qui était très populaire. Nous pouvons imaginer la prochaine version de ce système où il y aura la mémoire de toutes sortes de personnages et où nous enlèverons aussi les limites.“, explique-t-elle.
“Je pense que nous allons lentement voir les caractéristiques natives du cloud être introduites et comprendre que nous allons avoir différents petits moments révélateurs. Du genre : “Oh, d’accord, j’ai compris. C’est cool. Ça change vraiment les choses.“ On commence à voir certaines de ces possibilités aujourd’hui. Des fonctionnalités que nous avons intégrées à YouTube donne la possibilité pour le public de jouer ou de choisir le jeu auquel vous pouvez participer en faisant la queue ou en commentant et en influençant le session de jeu du créateur ou du diffuseur. Tout cela commence à créer une interaction dans le cloud et à se répercuter sur la première vague. Nous allons commencer à voir, d’ici un ou deux ans, les jeux avec génération procédurale, ou avec des simulations physiques où le nombre de participants sera 10 fois supérieur à ce qu’il est possible de faire sur une machine physique. Je pense que si quelqu’un disait : “Nous poursuivons la vision de Westworld“, ce ne serait qu’une vision à six ans, je dirais. [rires] Vous voyez, en disposant de beaucoup de ressources. », continue-t-elle.
Elle précise : “Il est vraiment question de jeux en tant que nouvelle plateforme sociale. C’est la tendance numéro un. Nous voyons de plus en plus le besoin des joueurs dans un jeu comme « un endroit où je peux traîner ». N’est-ce pas ? Ce n’est pas seulement pour me divertir. C’est mon loisir préféré. C’est ma sous-culture, l’identité de ma communauté. Avec ce type de besoin, comment pouvons-nous fournir quelque chose qui n’était pas possible avant ? […] Je pense que c’est la vision du metaverse que beaucoup d’entre nous veulent voir venir depuis des années. À vrai dire, j’ai travaillé dans une start-up en 2000 qui essayait de faire revivre le metaverse lors du premier boom d’Internet. C’est l’une des choses qu’on peut enfin voir se produire maintenant avec le cloud gaming. Vous n’avez pas à vous soucier des téléchargements. Vous n’avez pas à vous soucier des temps de chargement. Vous n’avez pas à vous soucier de la simulation ou de la puissance de traitement de l’appareil que vous utilisez. Et vous pourriez vivre cette expérience en vous baladant avec une playlist très intelligente et personnalisée pour vous et votre ami. Vous pourriez également saisir votre humeur du moment et adapter cette playlist : “La dernière fois qu’ils étaient dans cet état d’esprit, c’est le genre de chose qu’ils aimaient vivre.“ C’est le Saint Graal de ce à quoi nous arriverons à un moment donné. […] Je suis également persuadée que le virtuel peut permettre de mieux exploiter certaines possibilités. Je veux dire, nous pensons toujours aux inconvénients. Mais il y a aussi beaucoup de bénéfices à faire des choses de manière virtuelle. Quand on pense à certaines des nouvelles contraintes que nous avons dans le monde et au fait de passer plus de temps sur les écrans ou dans des environnements sociaux virtuels, il y a des manières de penser : peut-être qu’un concert virtuel ou un spectacle virtuel ou une classe virtuelle peut être encore plus satisfaisant.“
Mais pour rendre cette vision du metaverse réaliste, il est nécessaire que le jeux puisse s’adapter au joueur : “Je crois qu’il y a eu un début à tout cela avec “Left 4 Dead“ où ce qu’on appelait le “directeur IA“ [NdA : un système dynamique qui gérait l’intelligence artificielle du jeu] permettait de dynamiser le jeu et comprenait ce qui rendait le jeu amusant. Que peut-on faire à l’échelle globale pour créer cet aspect amusant et le personnaliser également ? Alors peut-être que ma version d’un grand jeu, c’est de l’action, de l’action, toujours de l’action. Et peut-être que Jonathan préfère faire pousser des légumes ou autres, aller chercher du minerai et faire de l’artisanat. Je ne sais pas quel genre de joueur vous êtes. [rires] Le “directeur IA“ pourrait aussi personnaliser ça. ». Ainsi, les recherches en Intelligence Artificielle pourraient aussi contribuer à l’évolution de Stadia.
Tout d’abord, comme l’explique Jade, pour aider les joueurs à créer leurs propres contenus : “comment utiliser l’IA pour amplifier les talents des joueurs ? Je ne suis peut-être pas douée pour le dessin ou la peinture ou bien je ne sais pas comment modéliser ou programmer en 3D. Mais grâce au traitement du langage naturel, je peux décrire ce que je veux et utiliser l’apprentissage machine pour créer le rendu 3D et amplifier ce que j’ai dit. Ce serait une expérience incroyablement enrichissante et une opportunité pour les gens de partager ce qu’ils sont au-delà des avatars. Cela pourrait leur permettre de créer tout un environnement qui les représente et qu’ils seraient en mesure de partager avec les autres.“. Ainsi, le monde entier et l’IA collaboreraient pour générer du contenu réutilisable et créer de nouveaux jeux afin de décharger les créateurs de jeux d’une grosse partie d’un travail souvent coûteux pour se concentrer sur des aspects plus créatifs. Mais l’ajout de l’Intelligence Artificielle de Google permettrait aussi d’aller plus loin et rendre les PNJ [NdA : les Personnages Non Joueurs] beaucoup plus intéressants : « Pensez à l’assistant Google. Je ne sais pas si vous avez déjà eu cette expérience, mais c’en fut une sacrée pour moi. J’étais avec ma mère à Los Angeles. Je cherchais un endroit où aller manger des sushis sur Google et j’ai cliqué sur ce que je croyais être l’interface de réservation. Et quand nous sommes arrivés au restaurant, la personne qui était là m’a dit : “Oh, où est votre père ?“ Et j’ai répondu : “De quoi parlez-vous ?“ parce qu’il n’y avait que ma mère et moi. “L’homme vraiment sympathique qui a fait la réservation.“ C’est alors que j’ai réalisé que l’assistant Google avait fait la réservation pour nous. Et c’était une conversation tellement naturelle et amicale que la personne qui a pris la réservation ne s’en est pas rendu compte. Et ce genre de pouvoir à l’intérieur d’un personnage de jeu débloque un tout nouveau niveau d’immersion et de narration qui est vraiment exaltant. Je veux dire, j’adore ça dans les MMO. Évidemment, une grande partie de ma carrière a été consacrée à des jeux d’action et d’aventure où l’histoire occupe une place importante. Et donc, exploiter cette capacité à raconter des histoires et à créer des personnages réalistes et crédibles ne peut qu’être très stimulant pour les développeurs de jeux.“, raconte-t-elle.
Elle continue: “En général, lorsque vous parlez à des PNJ dans des jeux, il y a un certain nombre de réponses ou de choses que le personnage pourra dire. Or, le nombre d’options qu’un scénariste peut écrire en termes de scénario crédible et le nombre de répliques que vous pourrez enregistrer avec un acteur limitent ce nombre. Toutes ces choses ont des limites. Ainsi, en tant que joueur, les personnages que vous rencontrez vont souvent répéter les mêmes choses plusieurs fois si vous revenez les voir. Il n’y a pas d’ajustements possibles à ce niveau. Grâce aux modèles d’IA que nous avons, nous pouvons mettre en place des buts et des comportements de base dans ces modèles d’IA. Ils pourraient alors répondre de manière réaliste à ce que vous avez fait dans un jeu.“. Imaginez alors un jeu type Assassins’s Creed avec des PNJ complexes sachant réagir à ce que vous avez pu faire dans le jeu. Pas sûr qu’après avoir tué des civils (qui n’en a jamais tué ?) dans un village, lors de votre retour, les habitants vous accueillent à bras ouverts, et votre réputation risque fortement de vous précéder…
Quand au(x) modèle(x) commercial(ciaux) de Stadia, Jade hésite encore beaucoup : “Je suis un peu obsédée par l’idée de revenir aux salles d’arcades, ou à l’expérience que procurent ces salles, maintenant que le cloud gaming est là. Parce qu’en fait, vous n’avez plus à payer pour un jeu entier. Donc, même avec cette première vague, il y a une opportunité de se dire : « Eh bien, j’achète un tas de pièces comme je le faisais à l’époque dans ces salles d’arcade. Et je joue 10 minutes de ceci et puis je passe au suivant. Mes pièces rémunèrent donc l’expérience suivante. » Je pense qu’il y a tout un tas de façons intéressantes de penser à l’ouverture des jeux, aussi, à toutes sortes de communautés qui ne peuvent peut-être pas se permettre de payer les 70 dollars ou qui n’ont pas pu jouer aux jeux AAA, n’est-ce pas ? Et puis vous pourriez aussi créer des modèles commerciaux qui pourraient être ces pièces, vous les achetez ou elles peuvent être subventionnées par la publicité. ». Un modèle effectivement intéressant pour attirer le prochain milliard de joueurs dont beaucoup vivent dans des zones en voies de développement.
Jade évoque aussi des modèles basés sur des compilations recommandées : “Je pense donc qu’il y a une tonne d’opportunités non seulement dans les modèles commerciaux, mais aussi dans la façon dont vous pensez aux systèmes de recommandations. Imaginez que nous soyons dans un groupe et que nous voulions un groupe de combat à fort impact, comme si nous voulions de l’action de combat en mêlée. Vous pourriez imaginer faire une playlist de 100 jeux différents contenant les meilleurs moments des meilleurs combats de mêlée. Et en tant que petit groupe, nous pourrions en quelque sorte nous téléporter d’une expérience de jeu à l’autre. Nous pouvons donc faire beaucoup en termes de livraison, de recommandation et de modèles économiques.“. Ici pas besoin de posséder les jeux. Payez votre participation à cette “sortie entre potes“ et profitez de cette compilation pouvant être rendue possible notamment grâce à “State Share“ qui sera disponible officiellement début 2021 avec Hitman 3.
D’autres questions restent en suspend dans l’esprit de Jade : “Comment pouvons-nous revenir à cette expérience des salles d’arcade ? Peut-on rétablir les micro-paiements ? Pouvons-nous rétablir les recettes publicitaires ? Mais je me demande aussi, si nous parlons bien de la vision de metaverse, quel est le marché ? Y a-t-il un marché mondial pour toutes ces expériences que des gens pourraient exploiter ? Existe-t-il une sorte d’eBay pour des trucs virtuels ? Et est-ce que cela pourrait virtuellement circuler entre les différentes expériences ? Existe-t-il une API ou une norme permettant de passer d’une expérience à une autre ?“. Tout comme Microsoft a créé un “marketplace“ pour Minecraft, verra-t-on un jour un marché plus global pour Stadia ? Pourrait-on vendre des ressources d’un jeu pour acheter une tenue rare pour un autre jeu dans ce « marketshare » ou procéder à des échanges, avec des transactions se servant de la blockchain ?
Quoiqu’il en soit, l’approche cloud natif de Stadia rend la plateforme la plus apte à appréhender le futur du jeu vidéo et du divertissement. Un changement radical qui transformera à tout jamais le monde vidéoludique. Si le chemin sera effectivement long vers cette maturité de l’offre de Google, chez Stadia Fr, nous avons hâte. Mais nous sommes entre gens de bonne compagnie, ce qui rendra ce voyage d’autant plus agréable, et comme on dit, plus on est de fous, plus on rit. Alors si cette vision du cloud gaming, partagée par Jade Raymond, vous attire, n’hésitez pas à commenter cet article, à vous abonner aux articles du blog, nous suivre sur les réseaux sociaux, et surtout nous rejoindre sur notre Discord.